Pour débuter l’année, c’est avec grand plaisir que nous accueillons l’entrepreneur et investisseur vaudois Patrick Delarive. Ancien propriétaire de la Régie de la Couronne, il est aussi producteur de Bastian Baker et créateur de la la D-Academy pour l’entrepreneuriat. Fondateur du Groupe Delarive et conférencier, il a accepté de partager avec Immodating sa vision sur la gérance de demain.
Photos: Sébastien Dubouchet.
Pourquoi vous êtes-vous tourné vers l’immobilier au départ ?
En 1994, je me suis installé comme gérant de fortune indépendant et en 1996, un de mes clients recherchait à acheter un bien immobilier avec des critères précis. Je ne trouvais pas de réponse à sa demande jusqu’au jour où j’ai croisé un copain architecte au jardin d’enfants. Il m’a dit maîtriser une opération répondant à ces critères. J’ai appris après que dire « Je maîtrise une opération » ne voulait strictement rien dire !
Pour faire une histoire courte, j’ai rencontré par son biais Claude Chappuis, qui travaillait chez Bernard Nicod à l’époque et qui est devenu mon partenaire. Ils m’ont présenté une opération de promotion et dans les 24h je l’ai présentée à mon client. Chappuis et moi avions aussi un peu d’argent à mettre dans l’opération de sorte qu’on a monté la promotion ensemble. Cela a amené une 2ème opération, une 3ème, et à un moment donné le volume d’affaires devenait suffisamment important pour créer notre agence immobilière. Claude Chappuis avait monté la Régie de la Couronne entre temps et m’a proposé d’entrer au capital et plus tard je l’ai entièrement rachetée.
En 2009 vous rachetez Cofideco pour son pôle gérance, pourquoi cet achat ?
Quand j’ai racheté la Régie de la Couronne, elle faisait environ CHF 1.5 million de chiffre d’affaires répartis pour moitié en courtage et moitié en gérance. J’ai beaucoup développé le courtage pour monter très rapidement à CHF 3 millions mais la gérance était restée à environ CHF 750 000. En 2009, nous avons donc racheté Cofideco qui a rajouté 3 millions de gérance – ce qui amenait le total à 6 ou 7 millions de chiffre d’affaires, et plus tard nous sommes montés à 12 millions.
Comment valorise-t-on une gérance ?
Une gérance se valorise 1 à 1.5 fois le chiffre d’affaires, ce qui est beaucoup pour des sociétés qui gagnent peu d’argent.
Une gérance fait énormément de cash flow et fait tourner des entreprises autour, mais fait très peu de profit. Pour moi c’est un business de commodité à faible valeur ajoutée. Il s’agit d’un travail de comptable et de technicien. Le défi est faible avec 0.25% de vacances de sorte que la valeur ajoutée et les marges sont faibles.
Pourtant, dans mon entretien avec Abdallah Chatila, nous faisions le calcul hypothétique de CGi immobilier avec 200 millions d’états locatifs. Sur base de 4% d’honoraires, nous arrivions à 8 millions de revenus alors que sa gérance compte 50 collaborateurs soit environ 5 millions de coûts, ce qui génère tout de même 3 millions de marges.
Votre calcul est juste mais vous avez oublié les frais généraux et les frais d’état-major.
– Pour placer ces 50 personnes vous aurez besoin de 500 m², soit environ 1’000’000 CHF en loyer et frais généraux (électricité, ordinateurs, etc.). A cela s’ajoutent les frais d’état-major : comptabilité, ressources humaines, direction générale, etc. De plus, avec 200 millions d’états locatifs, vos honoraires avoisineront plutôt 3.5% à cause des institutionnels. Sans oublier la Propriété Par Etage (PPE) dans laquelle vous perdez, sauf à Genève qui est un petit territoire. Bref, il vous restera en finalité peut-être 5%.
– Bien sûr, il y a un effet de levier : plus vous générez de chiffre d’affaires, moins les frais d’état-major ont d’impact. Cela explique que dans les belles années, les agences immobilières faisaient toutes des promotions immobilières et se permettaient d’ouvrir des bureaux partout, des stands aux salons immobiliers toujours plus grands, etc. – c’était un peu la folie des grandeurs. Mais fondamentalement, il y a un problème de rentabilité dans l’activité de gérance.
Les gérances manquent de rentabilité vous dites mais quand je les approche avec le logiciel d’Immodating pour faire gagner 10% de temps à leurs collaborateurs et faire plus avec moins, elles ne se jettent pas dessus. Pourquoi à votre avis?
Je vais vous dire pourquoi. Les gérants font un métier à relativement faible valeur ajoutée avec peu de marges.
Du fait qu’ils gagnent peu, ils ne peuvent pas engager ou investir dans des ressources de qualité telles qu’Immodating ou d’autres projets pour changer les choses.
Pire, la faible rentabilité ne permet pas d’engager suffisamment, alors les collaborateurs travaillent trop. Sortir du rythme quotidien demande de l’énergie alors qu’on leur demande déjà beaucoup. Enfin, je pense que votre outil fait peur : même si votre logiciel a aussi pour objectif d’améliorer le service client, il permettrait de supprimer des postes. Les collaborateurs sur le terrain ne sont donc pas nécessairement avec vous…
Le futur est pourtant dans la digitalisation, j’en suis persuadé.
Quel rôle auront les technologies sur les gérances selon vous ?
Le business model des régies, des agences immobilières aujourd’hui, est amené à subir des grandes mutations. C’est la grenouille qui ne sait pas qu’elle est cuite. Tous les jours elle meurt un tout petit peu.
Ce secteur va être totalement « disrupté » comme les banques commencent à l’être.
Il va y avoir de nouveaux acteurs qui vont chambouler les choses. Prenez le courtage, il y a un marché avec de l’offre et de la demande, que fera le nouvel acteur ? Il s’installera seul dans un bureau à 400 CHF par mois, il créera une communauté de 25’000 amis sur Facebook, mettra du Google AdWords, et des choses comme ça. Pas besoin de pages entières dans la presse à 20’000 CHF la page ni de gros états-majors ou de myriades d’agences.
L’exemple est là avec Uber: les chauffeurs de taxis vont tous se ramasser. Ils paient le prix du monopole qui les met dans une zone de confort. Ils ne font pas d’effort et la qualité baisse.
Que fera différemment la gérance de demain alors?
Par faute de moyens, la plupart des agences immobilières sont surchargées et cela se ressent sur le service.
Ce qu’il faut, c’est amener de la satisfaction au client, se recentrer sur le service client.
Or une des raisons pour lesquelles les agences immobilières ne peuvent pas satisfaire leur client selon moi, c’est qu’elles font trop de métiers. En Suisse les régies ont tendance a faire un peu tout parce qu’on a un environnement concurrentiel faible alors qu’ailleurs les métiers sont séparés et spécialisés.
Pour amener ce service, elles doivent évoluer technologiquement, ou de nouveaux acteurs viendront les remplacer.
Voici juste 3 ans, vous vendiez la Régie de la Couronne à Gérofinance-Dunand, qu’en pensez-vous en rétrospective ?
Je pense avoir vendu à un très bon moment par rapport à l’environnement, au cycle immobilier, au cycle financier (qui influence l’immobilier), et par rapport à mon cycle à moi. Je n’avais pas l’ambition de devenir le numéro 1 de l’immobilier de Suisse romande.
Je suis entré dans un secteur d’activité, j’en ai bavé parce que c’est un secteur qui est dur avec peu de marges, et j’ai fait mon temps.
J’ai multiplié mon chiffre d’affaires par 10 en 6 ans, il était temps de me retirer au sommet du marché.
On sait vos réussites dans des domaines variés (finance, immobilier, Bastian Baker, etc.), qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?
Aujourd’hui on a notre activité de base qui est du conseil en stratégie financière et de la planification financière. Le Groupe Delarive fait toujours de la promotion immobilière mais de plus petites opérations. Nous allons également développer des résidences 3ème et 4ème âge.
Mon défi cette année, c’est la D-Academy que nous venons de lancer : une académie pour l’entrepreneuriat basée sur le partage d’expériences, avec des intervenants de haut calibre (J.-C. Biver, B. Collardi, P. Meyer, etc.). Et moi j’enseigne, j’écris un bouquin, j’écris dans la presse, je suis dans des conseils d’administration, etc.
Qu’est-ce qui vous donne le plus satisfaction dans la vie? Et ce qui tend à vous irriter ?
Ce qui me plait le plus dans la vie en général, ce sont les rencontres et l’échange avec les gens. Avec le business, on gagne de l’argent, mais pour moi – et c’est la philosophie de la D-Academy – l’argent comme l’expérience et l’amour sont des choses qui doivent circuler et se partager afin de profiter au plus grand nombre.
L’argent comme l’expérience et l’amour sont des choses qui doivent circuler et se partager afin de profiter au plus grand nombre
Ce n’est pas la possession de l’argent qui m’intéresse – si cela avait été le cas j’aurais fait les choses très différemment – ce qui m’intéresse ce sont les rencontres.
Vous me demandez ce qui m’irrite : je n’aime pas les cons. J’ai très peu de résistance avec la médiocrité, je la supporte très mal, et je déteste la malhonnêteté et la mauvaise foi. Il y a peu de gens que je n’aime pas, mais ces 2-3 personnes là, c’est parce qu’elles ont été malhonnêtes ou manipulatrices. Heureusement il y en a peu !
Très bon entretien qui permet vraiment une rencontre, au-delà des informations précieuses. Félicitations à Jim Hershkowitz pour la qualité de l’interview.
Bonjour Madame Goffin,
Merci pour votre message.
Heureux que l’article vous ait plu!
Cordialement,
Jim Hershkowitz
C’est une vision réaliste. Comme la banque, l’immobilier sera en profonde mutation mais pour d’autres raisons !
Effectivement on devrait toujours partir du besoin du client pour faire un business model (Back to basic).
J’aime également ces projets du 3 et 4ème âge qui répondent a un besoin de société actuel et futur. Je crois que l’on ne veut plus vieillir seul dans son appartement (en général …). Aujourd’hui c’est hallucinant, il n’y a que 1’880 logements protégés dans le canton de VD …!? Merci pour cet article.
Bonjour Pascal,
Merci d’être passé par là et pour votre commentaire. Heureux que l’article vous ait plu et que vous partagez cette vision « réaliste » d’un secteur en pleine mutation. Quand au 3ème et 4ème âges, sans doute trop peu de projets s’y attèlent d’ailleurs au vu des changements démographiques…
Meilleures salutations.
Jim Hershkowitz
Excellent article & excellente vision que celle de M. Delarive. Je me pose quand-même une question à savoir : pensez-vous qu’il y a des opportunités intéressantes pour de petites structures immobilières ( personnes en raison individuelle ou PME ) qui n’ont pas nécessairement un grand nom mais des coûts structurels et de fonctionnement bien réduits? Je suis à mon compte depuis maintenant 3 ans, actif dans le courtage à Genève et dans le bassin lémanique ( –> Lausanne ) et voudrais également gérer la partie de gérance locative pour des clients privés car je sens que le marché locatif résidentiel présente aujourd’hui un joli potentiel. Par contre, comme vous l’expliquiez plus haut , cela nécessite des ressources importantes en terme de personnel on est dans cette limite entre la volonté de vouloir se développer de manière autonome pour se recentrer effectivement sur un service orienté client, ou plutôt mettre ses compétences à disposition d’un grand groupe. Je sais qu’il y a une question de vision entrepreneuriale et leadership qui est essentielle, mais au delà de cela, il y a aussi une question de timing et d’opportunité relatif aux évènements marco-économiques de ces derniers mois / années : activation du volant anti-cyclique des banques, restrictions supplémentaires pour l’accès au financement hypothécaire,etc, abandon du maintien du taux plancher CHF / euro,etc….
Voila, merci pour votre avis sur ces points.
Meilleures salutations,
François Pirenne
Bonjour Monsieur Pirenne, merci d’être passé par là et d’avoir partagé votre avis! Suite à votre question, voici ma perspective sur base de mon interview avec Patrick Delarive. En bref, je pense qu’il y a certainement des opportunités comme gérant indépendant. Au delà des facteurs macro-économiques que vous citez, il s’agirait d’identifier ce que vous ferez radicalement différemment afin de pouvoir maintenir une petite structure et faire davantage avec moins. Je soupçonne que pour faire les choses en grand il faut aussi repenser le processus entier. Après, il y a de nombreuses petites fiduciaires qui font un peu de gérance à côté pour le compte de leurs clients et s’en sortent très bien, pourquoi pas vous. En espérant que cela aide un peu? Bon courage dans vos démarches? N’hésitez pas à commenter pour préciser vos questions. Meilleures salutations, Jim Hershkowitz (pour Immodating SA)
Super article de P. Delarive, 100% dans le vrai, 100% dans le new business model, je dirais même plus les agences immobilières traditionnelles vont subir des mutations importantes dans un proche futur, le réseau et métier à besoin d’un coup de lifting sérieux pour s’adapter aux nouvelles tendances.Le métier de courtage ne va pas subir une modification, il va changer radicalement quant à son mode de fonctionnement. C’est déjà en marche dans d’autres pays…..A suivre…
Bonjour Monsieur Mougin, merci d’être passé par là et d’avoir partagé votre avis. Heureux que l’article vous ait plu. Je partage votre point de vue: le courtage va probablement encore davantage subir de mutations. Les technologies permettent tellement que les moins bons intermédiaires seront même amenés à disparaître. A suivre. Bonne continuation! Jim Hershkowitz