Nous avons l’honneur d’être reçu par Abdallah Chatila, investisseur et promoteur immobilier à Genève. L’entretien a lieu dans sa galerie d’art, lieu qui lui fait office de bureau. Il partage avec Immodating sa vision sur la gérance de demain et son parcours personnel à travers l’art et ses investissements immobiliers.

Court rappel des faits:

  • Abdallah Chatila est propriétaire de Vertical Holding qui fait de la promotion immobilière à Genève et a investi dans des prestataires immobiliers, notamment dans CGi Immobilier.
  • Parmi les promotions en cours, on compte Les Cèdres de Cologny, 265 logements à la Tulette (en voie de finition), et La Galaise (G32), 36’000m2 de bureaux industriels et artisanaux à Plan-les-Ouates (à ses débuts). Environ 120’000 m2 de parcelles sont à l’étude pour construire des logements à Genève.
  • Au delà de l’immobilier, Abdallah Chatila gère la société joaillière familiale Elie Chatila SA, et a investi dans des sociétés technologiques, dans l’art, et même dans une société d’assurance.

Vous trouverez ci-dessous des morceaux choisis et édités de notre entretien. Photo: Sébastien Dubouchet. Bonne lecture et n’hésitez pas à réagir dans les commentaires.

On vous sait en partie propriétaire de la régie CGi Immobilier et de John Taylor. Pourquoi avoir investi directement dans ces prestataires de services ?

Le flux financier des promotions est très cyclique. Le temps que nous commencions et finissions une promotion, il y a toujours 3 ou 4 ans qui s’écoulent donc des flux de liquidité négatifs. Pour Vertical Holding, investir dans CGi Immobilier et John Taylor permet de lisser les revenus grâce à la gérance. Sans oublier toutes les synergies qu’on peut réaliser grâce aux activités du groupe et à la connaissance du marché que cela apporte. De plus, avec Les Cèdres de Cologny, j’étais devenu le plus gros client de la régie donc rentrer dans le capital d’une société dans laquelle j’étais très bien servi et j’ai confiance faisait sens.

Ces sociétés vous fournissent aussi un accès au marché pour acheter des parcelles, n’est-ce pas jouer avec deux casquettes?

Oui mais il y a toujours une muraille de Chine entre les activités de la gérance et moi. Je ne suis pas du tout familier avec ce que les régies font – ni avec les clients du pilotage, ni avec les clients propriétaires. Et ce n’est pas une chose à laquelle je m’intéresse.

Au travers de CGi immobilier, vous êtes actif dans la gérance. Est-ce une activité rentable?

Quand certains disent que la gérance ne gagne pas, c’est vrai qu’on n’y gagne pas des masses mais c’est relatif. 

Quand vous avez une société comme CGi Immobilier qui existe depuis 60 ans et qui gère 200 millions d’états locatifs vous avez forcément un roll out qui est assez positif et qui est standardisé, c’est beaucoup plus stable que la promotion. Quand certains disent que la gérance ne gagne pas, c’est vrai qu’on n’y gagne pas des masses mais c’est relatif. Pour gérer la même somme de courtage vous avez besoin de 2 voire 3 fois moins d’employés. Mais quand le courtage ne marche pas, ce qui est d’ailleurs le cas aujourd’hui, tout le monde est bien content d’avoir la gérance.

Comment rentabiliser la gérance cependant? Si on compte 200 millions d’états locatifs à 4%, cela fait 8 millions de revenus. Cela paie 80 personnes alors que CGI en compte près de 120.

C’est plus compliqué que cela, votre calcul est un peu simpliste. Pour les 8 millions que vous estimez il y aura plutôt 50 personnes à la gérance. Donc il y a déjà une marge. Et les autres personnes produisent dans d’autres domaines comme le courtage et le pilotage. On fait énormément de pilotage, je crois que nous sommes la première régie au niveau du pilotage à Genève.

Quelle est votre vision de la Gérance de Demain ?

Abdallah Chatila s'exprime
Je considère qu’aujourd’hui il ne suffit plus juste de gérer des flux financiers entre les locataires et les propriétaires, il faut être un prestataire de services complet. La gérance de demain, comme vous l’appelez, doit servir ses clients un peu comme une banque privée, c’est-à-dire donner une série de prestations au delà de la gestion d’actifs. Il s’agit d’aider les clients propriétaires au niveau légal à structurer leur acquisition ou leur patrimoine au niveau hypothécaire, leur donner des conseils sur le fait de bloquer les taux ou non, comment obtenir les meilleurs taux, au niveau du choix des locataires, au niveau des choix stratégiques quant au bon moment d’acheter ou de vendre, etc.

La gérance de demain doit servir ses clients un peu comme une banque privée, c’est-à-dire donner une série de prestations au delà de la gestion d’actifs.

Pour fournir ces services supplémentaires au même tarif, il faut être plus efficace ?

Plus efficace et surtout pouvoir communiquer sur les prestations qu’on peut réaliser. Il y a un manque de communication qui est très important vis-à-vis des clients, qui est aujourd’hui l’une des causes des problèmes de performance en général pour toutes les régies. Parce que peu de gens savent qu’on vend des immeubles par exemple ou qu’on achète des immeubles, qu’on peut faire du courtage d’immeuble, ou qu’on peut leur donner des conseils en hypothèque, des conseils légaux, etc. Donc il faut faire connaitre aux clients tous les services que nous pouvons fournir.

N’est-ce pas aussi un revirement en terme de personnel de la gérance, qui doit être moins orienté processus et davantage conseil?

Pas nécessairement. Il faut avant tout que les équipes se parlent beaucoup plus entres elles, échangent des informations, et qu’elles puissent communiquer beaucoup plus facilement avec les clients.

Pour donner un exemple, le responsable de gérance ne va pas nécessairement avoir l’idée de présenter au client celui des ventes, alors que ce dernier pourrait vendre au client une maison à la montagne. Or dans tous les propriétaires que nous avons il y en a surement qui sont propriétaires à Genève ou en montagne et qui voudraient acheter ou vendre.

Que pensez-vous de l’informatique dans les gérances et de l’outil d’Immodating, le dossier de location en ligne? Il est en place chez CGi Immobilier d’ailleurs.

Abdallah Chatila explique le rôle des technologies

Aujourd’hui les systèmes informatiques sont très importants parce qu’ils permettent d’économiser beaucoup d’argent puisqu’ils peuvent faire beaucoup de choses seuls. Donc être performant au niveau de l’informatique est primordial. Il y a certaines régies qui surclassent les autres à ce niveau là, qui ont fait beaucoup d’efforts financiers pour travailler sur les systèmes informatiques et je crois que ça va payer à court et moyen terme.

Pour moi cet outil qu’Immodating propose, c’est un service qualité, c’est la rapidité, l’efficacité, c’est ça qui fait la différence. C’est pour cela que les outils informatiques sont extrêmement importants – ils vous permettent de faire des choses que vous ne pouvez pas faire seul.

Par contre effectivement c’est du changement donc cela prend du temps. Il faut toujours se mettre à la place des personnes. Qu’est-ce que cela apporte aux collaborateurs de changer ? Je ne parle pas pour les dirigeants, mais pour les gens qui sont sur le terrain. Je peux comprendre que quelqu’un qui a une habitude n’a pas envie de changer même si cela sera mieux après. Pour amorcer le changement, c’est à la direction de donner les directives justes et de dire que cela doit être fait. Quand vous laissez trop le choix aux gens ils hésitent. Après, cela dépend de la manière dont on veut diriger l’entreprise et où est-ce qu’on veut l’amener bien sûr.

Pour moi cet outil qu’Immodating propose, c’est un service qualité, c’est la rapidité, l’efficacité, c’est ça qui fait la différence.

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En quelques années vous êtes devenu omniprésent dans l’immobilier genevois. Quel a été l’élément déclencheur qui vous a fait passer de vos activités de joaillerie à l’immobilier de manière si active ?

La promotion Les Cèdres de Cologny nous a donné beaucoup de visibilité. C’est un projet de plus de 200 millions donc forcément on entre dans la cour des grands, surtout pour Genève. Mais c’était déjà le troisième projet que nous réalisions.

Ma première promotion, c’était complètement par hasard. Je jouais au tennis au Bois-Carré avec un ami, je voyais des villas autour et j’ai dit « c’est dommage il n’y a jamais personne qui joue, on devrait faire une promotion ici ». J’ai donc vérifié avec un ami architecte et il se faisait que le terrain était constructible. Peu après, j’étais chez un avocat et lui parlais cette opportunité et lui me dit « tu ne sais pas qui est à côté ? », je lui dis « non » et il me répond « il y a le propriétaire de la parcelle ». C’est comme ma première promotion a démarré, complètement par hasard.
Abdallah Chatila déterminé

Qu’est-ce qui vous plaît dans la promotion ?

C’est la découverte d’un monde qui est différent et c’est l’innovation : à chaque fois que vous faites un projet il sera différent du premier et vous apprenez tout le temps. Construire en zone de développement est totalement atypique et différent par exemple, tout comme construire en zone artisanale et industrielle.

Cette promotion à Cologny fait grand bruit. Pourquoi vous attaque-t-on vous et maintenant?

Il y a une pratique (ndlr: lors de promotions en zone de développement, certains propriétaires gardent des appartements qu’ils proposent à leur propre cercle) qui est là depuis très longtemps et qui déplait parce qu’injuste. Il fallait taper sur quelqu’un et ils ont trouvé le bon profil, dans une commune qui représentait les gens aisés et les étrangers. C’était plus facile de taper sur Abdallah Chatila à Cologny plutôt que Monsieur Dupont à Meyrin.

Néanmoins, je suis tout à fait favorable à cette loi (ndlr: elle stipule en bref que seuls les primo-accédants peuvent acquérir un (et un seul) objet en zone de développement). Je trouve que c’est une loi juste, mais je suis contre le fait qu’elle ait un effet rétroactif. Je suis contre tout effet rétroactif, que cela soit lié à l’immobilier ou à d’autres activités. Une personne qui prend des décisions à un moment donné ne doit pas payer les conséquences d’erreurs politiques antécédentes.

Illustration aérienne de la Promotion des Cèdres à Cologny

Illustration aérienne des Cèdres de Cologny

Depuis, la situation s’est facilement résolue. Les gens qui avaient des promesses vont faire acheter à leurs enfants comme ils devaient le faire depuis le début. Et ceux qui ne veulent plus d’appartements on les remplace très facilement. Personnellement je n’ai aucune conséquence directe, à part que cela prend du temps.

Vous avez la réputation d’être assez direct, pensez-vous réussir car vous faites vos choix sans que la passion n’intervienne ?

Je n’ai pas de passion. Soit je crois en quelque chose, soit je n’y crois pas. Ensuite, il y a les expériences qui vous donnent plus ou moins confiance. Il y a certains projets dans lesquels j’ai perdu confiance et d’autres l’inverse. C’est l’historique entre l’investissement et ce qui se passe après – la manière dont vous travaillez avec les personnes par exemple – qui change ma manière de percevoir le business.

Pourtant l’art semble être une de vos passions ?

Oui mais j’ai vécu sans l’art avant, je peux vivre sans l’art après. A la maison on n’a pas du tout d’art par exemple. Ce qui est intéressant dans l’art pour moi c’est la multitude des artistes, la multitude des styles et ce côté intellectuel d’évaluation des pièces pour savoir s’il y a quelque chose à prendre ou pas, suivre les tendances, c’est assez mathématique, c’est intéressant.

Qu’est-ce qui vous donne le plus de satisfaction dans la vie professionnelle, et au contraire tend à vous irriter?

Abdallah Chatila aime le contact humain
Ce qui me satisfait, c’est la multitude d’investissements que j’ai et qui me permettent d’avoir un certain intérêt continu dans différents domaines, et de rencontrer des gens différents. Parfois je parle à des ingénieurs en technologie, à des grands philanthropes, à des régisseurs, à des propriétaires, et parfois je parle à des paysans. C’est ça que j’aime dans mon métier – la diversité des gens avec qui j’échange.

Ce qui m’irrite c’est l’inefficacité, la lenteur et le manque de bon sens. Il y a des gens qui n’ont pas de bon sens et ça c’est quelque chose qui me rend fou. C’est parfois tout ce qui est simple à comprendre que les gens compliquent.

Pour finir, quel est votre principal défi pour l’année à venir ?

Continuer à grandir ! Je pense que tout entrepreneur qui ne grandit pas revient en arrière. Il ne faut pas juste se stabiliser, il faut toujours se renouveler avec des nouvelles idées, des nouveaux challenges et puis continuer.

Merci à Abdallah Chatila pour cet entretien très intéressant sur sa vision de la gérance de demain et son parcours. Et vous, qu’en avez-vous pensé ? N’hésitez pas à réagir dans les commentaires.

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